Les artistes sont des passeurs. Nous mettons en partage l’espace sensible. Par ma pratique je questionne ce qui rend un lieu confortable et propice à l’expression, ou ce qui donne envie de s’y poser quelque temps. Je suis intéressée par cet état intermédiaire, ce seuil entre espace non-investit et espace habité. Je cherche à souligner ce caractère transitoire. Un espace peut être rempli à raz-bord d’objets manufacturés et être « mort », ne plus être investi de vivant. Comme un hall de gare peut soudainement devenir le théâtre et la mise en lumière d’une histoire sentimentale.
Mon intérêt se tourne souvent vers les lieux de passage et de transit, des lieux génériques, des non-lieux (expression de l’anthropologue Marc Augé). Car nous vivons ou passons une importante partie de nos journées dans des espaces pensés pour l’efficacité, le commerce et la gestion des flux. Bien que de prime à bord, ils soient anonymes et lourds de bien des injonctions ; nous y vivons et donc les investissons d’affects et d’histoires. Je cherche à mon tour, différentes stratégies pour les investir d’intime et de particulier. Je cherche parfois à leur redonner une épaisseur, à dévoiler ce dont-ils sont faits (matières, histoires, souvenirs), à dévoiler leur inscription changeante dans un environnement plus large. Ce dévoilement est pour moi une stratégie possible, qui aide à les habiter. Je crée ainsi des aspérités pour rendre le lieu saisissable. Et tel une Sioux en terrain ennemie, je laisse des traces de mes techniques pour aider d’autres à l’investir.
Mon travail est performatif, en attente d’activation, ou traces de ces moments transitoires où un lieu anonyme devient particulier. Mes propositions ne sont jamais flottantes, hors-sols, puisqu’elles questionnent les lieux. Elles ne peuvent être transportées sans arrangements. Même quand mon travail n’est pas produit précisément pour le lieu où il est exposé, je l’ajuste en dialogue avec celui-ci. Mon travail performatif se nourrie de danse, bien que ma façon de créer commence par une conscience plastique. Dans mes pièces, je considère le corps comme une matière sculpturale, dirigé par la peau. Je l’envisage comme une chose changeante, à la fois abris et composante de nos identités. Une « chose » qui en tant que tel est fortement transformée par nos usages sociaux.
Cela fait déjà quelques années que je crée régulièrement avec des danseuses et danseurs. Parfois, comme regard scénographique, parfois comme improvisatrice, souvent pour danser et s’entraîner ensemble. Même quand je créée une installation exclusivement plastique le point de départ est corporel. Je vois les lieux à travers le prisme de mon corps et de mon expérience. J’use de cette dernière comme boussole et matière. Il s’agit pour moi, de trouver diverses stratégies de détournement ou d’installations éphémères pour habiter et occuper intimement les lieux. Par mon travail d’exposition, du vêtement et parfois de scène, je cherche à partager ces stratégies que j’ai développées.