
Il est toujours excessivement complexe de trouver un titre à une pièce. Car les mots sont porteurs de sens, mais ne participent pas du même mode de signification que les matières ou les formes, pas tout à fait. Comment alors ne tuer ni les mots, ni la pièce et les aider à se rencontrer, à se conférer de la profondeur les uns les autres ? Ici j’utilise le terme d’indice car ce qu’il recouvre me plaît particulièrement. Je trouve qu’il y a quelque chose de magique dans cette idée de signe qui révèle l’existence d’une chose. Celle-ci recouvre une importante part de ce qui est pour moi le travail d’un artiste : la révélation. Dans cette même intention d’alliance entre mot et production plastique je peux désigner comme porte d’entrée à mon travail la notion d’espace, de production d’espace par le geste. J’envisage mes productions, aussi bien artistiques que textuelles, comme une recherche de l’espace, comme une recherche dans l’espace et avec lui. Comment apprendre, connaître l’espace ? Comment le découvrir ou transmettre notre connaissance de celui-ci à autrui ? Comment adresser à autrui cette connaissance. Une voie possible de réponse est celle de la confection de vêtement. Quand je me meus, ma conscience attentive à ce fait ou non, le poids du tissu de mes vêtements, la chaleur qu’ils m’apportent, leur contact irritant ou doux, influencent ma gestuelle, ma manière d’être. Les kimonos, littéralement ces « chose(s) que l’on porte sur soi » sont un objet intéressant à utiliser dans cette optique. Les habits traditionnels nippons vus d’un point de vue occidental, ont ceci de particulier, qu’ils ne cherchent pas à glorifier ni embellir certaines parties du corps. Le corps n’y est pas pour autant renié (même si ses gestes sont parfois contraints par lui, ce qui a également lieu avec nombre d’habits occidentaux), mais ses particularités ne sont pas présentées aux regards. Statut, genre et contextes sociaux sont transmis par les matières, formes, motifs et couleurs du vêtement. Mais, au-delà du visage, du cou et de la coiffure, ni taille, ni épaule, ni poitrine, ni quoi que ce soit des particularités physiques de l’individu n’y sont particulièrement mises en valeur. En Occident, la fabrication d’un vêtement est subordonnée au corps qui le portera. Le problème consiste donc à couper et à disposer le tissu de telle sorte que sa surface plane vienne épouser ce corps à trois dimensions. Or, dès que l’on passe un vêtement conçu par un styliste japonais, celui-ci masque les proportions du corps. La vision esthétique des japonais est profondément ancrée dans l’usage des kimonos. On recouvre le corps, tel quel, d’un tissu plan. C’est avec le drapé que se crée alors un surplus d’espace, le ma. Le vêtement ample ainsi formé, sans véritable « forme » dans l’acceptation occidentale du terme, se caractérise aussi par son asymétrie, celle-ci étant l’un des critères spécifiques de la beauté japonaise. C’est pour moi une famille d’habits à la fois sculpturaux, dansant et qui me chuchote cette conception de l’espace proprement nippone qui a partie prenante avec leur technique traditionnelle du pliage qu’est l’origami, avec cette notion d’espace en surplus : de ma. Il faut alors préciser la notion d’espace. Celle-ci concerne en priorité celle de distance, d’intervalle séparant deux lieux ou deux entités. L’espace primordial n’est pas géométrique, mais ensemble de relations entre les objets qui en définissent les qualités substantielles ou topologiques[1]. Cet ensemble de relations entre les objets est quelque chose que l’on aborde entre autres, par le toucher. Et quoi de plus tactile qu’un vêtement que l’on porte ? J’ai entendu parler par une artiste de mes proches, d’une pratique porte chance qui a eu cours dans diverses contrées et en diverses époques au Japon. Peindre ou broder la doublure intérieure d’un kimono au niveau du poitrail, des poumons, du cœur, de tous ces organes aussi nécessaires à la vie organique qu’à la vie symbolique, en un objectif de bonne fortune. Cette pratique du repli, du secret, m’a tout de suite enthousiasmée, dans ce qu’elle suggère de dissimulation et par extension de révélation. Il y est, en l’occurrence, prioritairement enjeu de la notion d’adresse. L’adresse est histoire d’acheminement d’un objet, d’un individu, d’une pensée entre deux « lieux ». Or, à qui est destiné ce motif ? De quel ordre est la distance mise en jeu ?
Pour jouer avec ces questions, j’ai décidé de me confronter à l’exercice et de réaliser des kimonos dont l’intérieur est tout de soie peinte.
Les peintures sur soie de mes doublures de kimono sont définies par une suite de gestes dansés, et de plis permis par le vêtement. Dans cette perspective il ne s’agit pas de pouvoir identifier les gestes à l’origine du motif. Ce n’est ni un jeu protocolaire, ni une partition[1]. Connaître l’un des principes de création participe simplement de l’appréhension que l’on a du vêtement. D’autre part, un motif indice de la peinture est brodé sur l’avers de l’ouvrage, sur la face en Bourette-de-soie. La Bourette-de-soie est, comme son nom l’indique, un textile de soie, mais moins précieux que la mousseline de la doublure, car tissé plus grossièrement. Là où l’intérieur existe entre trace et empreinte en une matière luxueuse. Le motif extérieur permet, lui, un jeu entre la personne dans la confidence qui reconnaîtra le motif brodé pour ce qu’il est : un indice, un élément de l’œuvre dissimulée ; et la personne à qui le secret n’est pas dévoilé, qui n’identifiera donc qu’un simple élément décoratif brodé.
Qui est dans la confidence ou qui ne l’est pas, ce
sera au propriétaire de chaque pièce de le définir. Pour ma part, je
diffuserais par photographies et/ou installations sculpturales, seules les
pièces que je destine à la présentation en exposition. Les modes de diffusion
des pièces uniques et personnelles que je réalise sur commande, est à la
discrétion de chacun.
[1] Définit, Jacques Lafon p. 26 dans Esthétique de l’image de synthèse ; La trace de l’ange, Paris, L’Harmattan, 1999.
[1] Chez les danseurs on use plus souvent du terme de notation en référence à la Labanotation : la Cinétographie Laban de Rudolf Laban. Qui est l’une des formes de notation les plus popularisées. Il y est généreusement fait référence dans les enseignements aux conservatoires.
